Poubelle bleue
• Une carte postale représentant un paysage de bord de mer, postée à Miami : “Une petite pensée pour toi depuis cette Floride que je n’avais plus revue. C’est quand même beau comme une carte postale. Affectueusement, Evelyne R.”
• Une lettre froissée : “Déjà reparti / Pour où cette fois, Tokyo, Buenos Aires, New York ou simplement Marseille ?… Toi qui sais si bien définir ma féminité, pourras-tu m’expliquer pourquoi certains aiment tant partir, alors que d’autres, qui essaient de les imiter, savent en partant qu’ils auraient dû rester ? S’il te plait, écris-moi cela. Je n’ai que dire à ton répondeur. Je t’embrasse, Martine.”
• Un aérogramme posté à Boston, froissé : “J’essaie de te soigner, c’est-à-dire, de te trouver une chambre “pas trop moche”. Il y a un hôtel bien situé, avec des chambres style Ibis : correct, petite terrasse, kitchenette et télé pour 62 dollars la nuit ; il y a aussi les mêmes chambres en plus grand pour 72 dollars. C’est ce que je prendrais si j’états toi, il me semble que pour trois semaines il vaut quand même mieux être bien. Dis-moi ce que tu en penses. En hâte et affectueusement, Muriel.”
• Une carte d’invitation pour une exposition de peintures à Berlin : “Je reviens juste de New York. Je pense à toi. Marie-Jeanne.” (prénom de l’artiste)
• Trois lettres manuscrites dans une écriture ronde, rapide, signées par l’initiale “F” et sans mention du nom du destinataire (désir de discrétion ?) ; elles sont toutes déchirées en plusieurs morceaux ainsi que les trois enveloppes portant la même écriture :
– deux petites feuilles jaunes (“Post-it”) numérotées : “Je n’ai malheureusement pas les médicaments sur moi mais je passerai te les déposer demain, avec leur mode d’emploi… Impossible de trouver ma tête de 40 ans, j’envisage donc de continuer sans tête… après tout on doit pouvoir s’en passer… Je pense infiniment à toi, appelle-moi vite !”
– une feuille écrite à la hâte, en diagonale, d’abord avec un feutre rouge, puis avec un stylo à bille noir : “Tu ne peux pas aller mal, d’abord parce que c’est moi de toute éternité la plaignante, et puis parce que ce dont je me plains c’est justement de n’être pas comme toi, géniale, forte et libre… Quand reviens-tu ? Emmène-moi deux jours en semaine au bord de la mer, dans ta belle auto…”
– une carte postale représentant la statue d’un ange : “Quand je pense que c’est comme ça que je te vois, que le t’entends, que je te sens, que je te lis… ça me fait frémir d’aise. J’ai trouvé un nouveau jeu, on va bien s’amuser ! A tout de suite !”
Poubelle noire
• Trois lettres signées “F”, déchirées en plusieurs petits morceaux ; les enveloppes correspondantes sont aussi déchirées :
– une carte postale représentant un paysage au bord de la mer : “Si la pure présence est insupportable, la pure absence peut être fatale… Tu me manques. Tu me manques énormément, tu me manques amoureusement, érotiquement, tendrement, infiniment ! Je voudrais n’avoir plus que cinq minutes à vivre parce que tu n’aurais pas le cœur de m’abandonner… Et qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas le cas ? Un jour ce sera vrai et tu ne seras pas là… Etreinte passionnelle.”
– une lettre sur papier Ingres crème : “Ça ne va pas du tout. Je n’ai pas intégré que tu partais aussi longtemps et pas prévu que j’aurais tellement besoin de toi… Et d’abord où es-tu ? Demain c’est la pleine lune, tu ne seras pas là ; après tu vas revenir et moi, je serais partie. Tout ça est ridicule. Et toi qui ne m’appelles ni m’écris… Est-ce que tu crois que tu comptes pour du beurre ?”
– une carte postale du jardin des Tuileries: “Soit tu as cessé de penser que j’existais, soit tu as eu un accident (qui me préviendrait ?), soit tu as décidé de disparaître, et je me demande comment je vais survivre sans toi. Je sais que tu détestes ce genre de réaction mais je tiens beaucoup à toi et ce silence me pèse infiniment. Fais un effort.”
• Une lettre manuscrite dans une écriture renversée, assez étrange : “J’espère que nous pourrons nous voir au printemps 89. Je pense à toi. La solitude est quelquefois pénible à vivre. Les agrégats discursifs et la critique intellectuelle apportent peut-être un approfondissement humain mais laissent un esprit dépourvu de signes de tendresse… Je t’embrasse, Agnès.”
• Une feuille de classeur, quadrillée, déchirée en plusieurs petits morceaux et présentant une écriture désordonnée: “Alors tu ne veux pas “faire irruption dans ma vie” mais que veux-tu faire d’autre ? Devenir moine ? Sais-tu que de nos jours une femme peut être condamnée pour avoir fait des promesses de mariage sans les tenir ? C’est que depuis que la femme a la pilule, il y a des hommes qui ont peur d’être séduits et abandonnés. Eh oui ! Il faut moderniser ta morale, il se pourrait que l’expression “faire irruption dans ta vie” ne veuille plus tout à fait dire ce que tu voulais me dire. Te souviens-tu de la phrase de Cendrars “La treizième c’est encore la première et c’est toujours la seule – ou le seul moment” ? Ceci dit, ton mot-ment, mais qu’importe, cela m’a fait plaisir en rentrant de ne plus trouver ma boite vide. Fais un bon voyage. Je te laisse le soin de me faire signe comme il te conviendra. Bisou. Corinne.”